J'ai lu un jour qu'un écrivain américain célèbre et très prolifique avait dit : "je suis l'équivalent littéraire d'un Big Mac avec les frites". J'ai la prétention dérisoire d'être le menu XL, un burger à cinq étages avec un trop-plein de sauces dégoulinant sur les doigts et une triple portion de patates grasses jusqu'à l'écœurement.
L'exagération de cette déclaration de sergeDEFT ne peut pas être plus appropriée pour commencer à analyser le toujours "toujours plus" de cet auteur atypique, et celui qui ne comprend pas maintenant cette exagération ne pourra jamais apprécier aucune de ses "petites histoires sans importance". C'est même inutile qu'il essaie.
Je n'ai pas l'écriture squelettique.
Chez sergeDEFT, tout est poussé au paroxysme. C'est une surenchère permanente. Son écriture relève souvent de la transe, une sorte d'épilepsie narrative avec une succession ininterrompue de délires ébouriffés et de trouvailles jubilatoires, qui le propulse toujours plus loin. DES LARMES COMME DES BANANES se caractérise donc par un style dépassant le réalisme (trop banal et ennuyeux pour sergeDEFT), puisque toujours dans l'excès et la démesure, en accord parfait avec des récits truffés de personnages malsains et marginaux, pour certains sous l'effet de drogues puissantes (lire DROGUES) et adeptes pour la plupart, de sexualités intenses et exubérantes (lire SEXE).
J'écris pour les amateurs de sensations fortes…
Le résultat est agréablement kitch et vivifiant. Mais certains trouveront ce mauvais goût délibéré parfois limite. sergeDEFT nous offre, par exemple, à plusieurs reprises un grand régal de pornographie déjantée qui ne manquera pas de faire fuir le lecteur prude ou par trop conventionnel.
…et pour affoler les curieux !
Cette exubérance du style, alliée à un humour second degré omniprésent, permet de contrebalancer le nihilisme forcené de l'auteur et rendre supportable son univers.
Pour atteindre son but, sergeDEFT n'hésite pas à maltraiter la narration par une présentation non conventionnelle de la page, aussi bien que par un morcellement très personnel des diverses actions. Lire à ce sujet : LE DECOUPAGE (Morcèlement de la linéarité fictionnelle et mise en page spécifique) - LA PHRASE - EN MARGE.
En cela, DES LARMES COMME DES BANANES est une explosion continuelle d'énergie et d'inventivité tordue, bouleversant les habitudes de lecture, qui navigue entre cynisme et noirceur assaisonnée d'un humour second degré et de débordements comiques soudains sur fond de rock'n'roll jouissif.
Nous l'évoquions déjà dans TOUJOURS "TOUJOURS PLUS", DES LARMES COMME DES BANANES se présente comme une complexe juxtaposition de situations elles-mêmes fragmentées.
A l'instar d'un film choral, sergeDEFT y fait s'entrecroiser de nombreux personnages sans lien flagrant, du moins en apparence. Il assemble peu à peu les pièces d'un puzzle, travaille à la manière d'un collagiste, distillant par chapitres souvent très courts, parfois limités à une phrase unique, le récit de plusieurs destins parallèles. - Il nous a confié l'influence déjà ancienne mais indéniable d'œuvres cinématographiques comme Pulp Fiction de Quentin Tarantino (1994) ou de Amours Chiennes (2000) réalisé par le mexicain Alejandro González Iñárritu, sur sa façon de raconter ses "petites histoires sans importance".
Lire également LE DECOUPAGE (Morcèlement de la linéarité fictionnelle et mise en page spécifique).
Beaucoup plus facile d'accès que ne le laisse supposer ces lignes, DES LARMES COMME DES BANANES est porté avant tout par le rythme fiévreux et faussement désordonné de l'auteur, qui en rend la lecture particulièrement attractive, sans temps morts ni baisse de tension.
Durant toute la première partie, sergeDEFT suit une patrouille de police qui circule sur le Maelström et en profite pour faire parallèlement une énumération des souffrances et des drames qui constituent le quotidien sordide des habitants des Quartiers Nord ; un long inventaire d'un monde pessimiste et sans espoir : chômage généralisé, grande précarité, ennui et errance, alcoolisme, drogues, prostitution (Eva Panzer, Stefani Chi Chi, Moka Kikaragua, et les anonymes, filles ou transsexuels), dépression (Georges, l'employé de nuit de l'hôtel), suicide (la femme qui se défenestre).
Ce crescendo devrait être asphyxiant mais il est trop excessif pour être pris au sérieux. sergeDEFT obtient ce décalage par la surenchère, son fameux TOUJOURS "TOUJOURS PLUS" et fait baigner en permanence DES LARMES COMME DES BANANES dans une atmosphère de second degré fortement appuyée, un ton humoristique décalé, pour diluer la noirceur ambiante. Il crée ainsi le recul suffisant mais nécessaire par rapport à une toile de fond sociale particulièrement oppressante et évite au texte de basculer dans le pathos.
Au final, sergeDEFT arrive, en zappant entre son obsessionnelle "esthétique de l'excès" et un (pseudo-)réalisme sombre, à nous divertir malgré l'âpreté du propos. Cette "désinvolture" de l'auteur à décrire la dégénérescence de la société et le malheur des gens demande parfois une grande libération envers toutes sortes de préjugés pour la savourer pleinement.
Si globalement la noirceur est "adoucie" par une prose volontairement outrée enchaînant les hyperboles, l'insoutenable n'est pas exclu, reste présent et peut surgir à tous moments.
Lire DOUBLE K.
Ce télescopage permanent, qu'il soit perçu comme vraiment cocasse ou au contraire dérangeant, se poursuit dans la seconde partie du roman avec le dénouement funeste d'un quiproquo dans les étages d'un palace du Front de Mer et le traitement de l'agression de l'épouse du sénateur.
sergeDEFT refuse l'appellation d'écrivain et se définit avec insistance comme un raconteur de "petites histoires sans importance".
On peut s'interroger ; S'agit-il là d'une vérité, d'une fausse modestie, ou cela fait-il partie de l'une de ses nombreuses allégations fantaisistes avec lesquelles il peaufine son "personnage" auto-fabriqué. Lire L'AUTEUR ET SA PROPRE FICTION
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La présentation de DES LARMES COMME DES BANANES - particulièrement dans la première partie -, basée sur des ruptures permanentes et associée au travail sur la page avec la mise en retrait de paragraphes, accentue l'aspect très kitch du récit lui-même.
sergeDEFT nous parle de sa "façon de faire" ("de défaire" pourrait-on dire) :
Le découpage des différentes actions et la manière de les intercaler, ainsi que la mise en page spécifique, sont la résultante d'une condition intérieure particulière et non le fruit d'un raisonnement, l'application froide d'une technique, ni la volonté de secouer les routines et les conventions et bien pire même, une coquetterie, un caprice expérimental ou la prétention de révolutionner quoi que ce soit.
Il m'est impossible d'écrire calmement, voilà tout !
L'ensemble imprimé en phrases bien ordonnées, classé en paragraphes de façon conventionnelle et présenté en chapitres proprets aurait très mal reflété l'état dans lequel j'étais au moment où j'écrivais.
Ce "désordre" contenu dans la forme exhibe donc aussi mon désordre mental.
Lire en complément LA PHRASE - EN MARGE
Voir aussi LE DECOUPAGE (Morcèlement de la linéarité fictionnelle et mise en page spécifique) et EN MARGE.
Même si on peut penser que j'ai tout envoyé balader, je sais que je suis encore limité par des reliquats esthétiques littéraires provenant de stupides et rébarbatifs programmes d'éducations inculqués en milieu scolaire.
On a déjà vu comment sergeDEFT, par son refus de l'intrigue linéaire, chamboule les habitudes de lecture.
Au démantèlement très radical de ses "petites histoires sans importance"., s'ajoute souvent aussi une construction atypique des phrases avec une mise à mal de la syntaxe et souvent l'impossibilité de reprendre son souffle, en raison de la raréfaction de la ponctuation.
sergeDEFT distend ainsi parfois la narration de certains événements afin de mieux capturer la fiction "en train de se faire" et reconstituer au plus près des instants de perception. Il joue alors avec la phrase et se permet de "l'éclater", allant même jusqu'à l'étager par fragments sur plusieurs lignes et occuper ainsi une partie de la page - on peut le soupçonner de prendre en même temps un malin plaisir à égratigner des carcans anciens.
sergeDEFT : Je préfère utiliser des espaces vides entre les mots ou des bouts de phrases, que d'enchaîner systématiquement avec une conjonction de coordination ou les séparer par des virgules. C'est une manière de traduire la continuité d'un fait avec le temps en suspension entre chaque geste. C'est, je trouve, une meilleure façon de reconstituer la durée d'une action. C'est plus près aussi du silence en musique, un "truc" pour essayer de se rapprocher toujours un peu plus du rythme du rock. Lire à ce sujet ROCK'N'ROLL !
Que les règles malmenées et le manque d'élégance syntaxique de ses phrases soient pris pour un signe d'incapacité lui importe peu, que l'on puisse dire que cela prouve ses limites "littéraires" l'indiffère totalement. Quand on lui fait remarquer que ce goût trop constant pour les "turbulences", son parti pris systématique du TOUJOURS "TOUJOURS PLUS" et toutes ses diverses fanfaronnades, ne sauraient passer toujours que pour des qualités, sergeDEFT rigole parce que sergeDEFT se moque de bien écrire.
Faudra faire avec ma prose "mal élevée". Je n'écris pas pour les "propres sur eux", les "tirés à quatre épingles", les fumeurs de bouts filtres, les grammairiens grabataires ou les élitistes avec des problèmes d'érection, ni pour les retraités à caniche.
J'aspire à offrir une page totalement sauvage.
Il semble que sergeDEFT ne puisse s'empêcher de penser par fragmentation - Lire LE DECOUPAGE (Morcèlement de la linéarité fictionnelle et mise en page spécifique). C'est ainsi qu'il "brise" également le récit en y insérant du texte en marge de l'action, présenté en paragraphes décalés sur la page.
Tels des apartés entrecoupant une discussion, il intercale des séquences rapides. C'est, on peut dire, le regard de l'auteur qui s'attarde au passage ou vole des scènes furtives, les cadrant de près, pour isoler un détail, valoriser un mouvement. sergeDEFT baguenaude le lecteur et l'entraîne fréquemment dans les recoins, mais parvient à garder toute la cohérence du récit malgré cette explosion d'images "accessoires", de gros plans ciselés ou de perceptions évanescentes.
Il poursuit, avec ces à-côtés, l'affolement du sens ordinaire de la narration ; ces "décrochages" étant de véritables interruptions de la temporalité, des moments suspendus que l'on peut rapprocher des espaces avec lesquelles il "déforme" certaines de ses phrases - Lire LA PHRASE.
En pratiquant ainsi, sergeDEFT raconte tout à la fois. Il n'opère aucun choix entre ce qui est important et ce qui l'est moins ; notion d'ailleurs très subjective, comme il le fait remarquer.
Certains ne verront dans ces "inserts" que le défaut fréquent d'un nouvel auteur désireux de "mâcher la tâche" au lecteur, de lui donner tout à voir d'un coup (plus qu'à imaginer) avec une hystérie obsessionnelle de le diriger et de le maîtriser, un empressement de ne rien laisser au hasard en saturant d'images l'espace fictionnel.
sergeDEFT ne s'encombre pas avec les critiques et balaie, avec sa désinvolture habituelle, d'une phrase sans appel, toutes les objections qui pourraient être émises :
Lorsque l'on atteint une telle profusion de défauts, vous savez, cela devient un style.
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sergeDEFT n'hésite pas à réutiliser d'éternels clichés. La trame de DES LARMES COMME DES BANANES elle-même fait appel à un "classique" : des flics désabusés dans une ville percluse de perversions.
Il n'y a rien de mal à flirter avec le passé.
Depuis son apparition, le roman et le film noirs, ainsi que certains comics (Sin City de Frank Miller – qui est déjà une réactualisation des polars hard boiled) ont souvent présenté la "grande" ville comme personnage à part entière, avec ses démesures et ses dangers.
Il me parait impossible d'échapper à certaines similitudes inhérentes au décor dans lequel se situe l'action, au "climat" général, à la personnalité des protagonistes aussi. Ce n'est pas la difficulté de rompre avec une imagerie usée, mais tellement séduisante, faut l'admettre, c'est un choix ; tripatouiller des vieux "trucs" à sa sauce en les malaxant à ses propres influences. Une tentative pour se les approprier.
Lire en complément DES INFLUENCES AUX EMPRUNTS
Nous voilà arrivés à la fameuse maxime Sex, Drugs and Rock'n'Roll, la "sainte" trilogie popularisée par Ian Dury (and The Blockheads) en 1977.
Premier volet : LE SEXE
On pourra être surpris par les déviances elles-mêmes - bien sûr - mais on ne sera pas étonné que sergeDEFT "force un peu" - une fois encore - lorsqu'il aborde la sexualité de ses personnages.
C'est ainsi que l'on découvre dès les premières pages, Max, membre des Forces de l'Ordre en patrouille sur le Maelström avec des cognitions libidineuses qui alimentent son cinéma pornographique permanent interne.
D'abord focalisé sur l'entrejambe d'Annabelle, l'épouse de son chef hiérarchique, son esprit dérangé dérivera ensuite en une soudaine digression très imaginative - et imagée - sur une hypothétique luxure généralisée dans les immeubles longeant le boulevard. Énumération impulsive de la pratique épique et tous azimuts de la fusion des corps, les phrases étant dictées par la pensée (soit-elle délirante) du policier (ou de sergeDEFT ?).
On retrouve dans le traitement de cette recherche d'orgasmes à tout prix par des coïts forcenés, le TOUJOURS "TOUJOURS PLUS" si cher à l'auteur et ce détachement permanent qu'il a - dans ses "petites histoires sans importance" mais aussi dans la vie - quels que soient les événements et les situations.
Même "ça", Monsieur sergeDEFT, vous ne pouvez pas vous empêcher de vous amuser avec ?
Excusez-moi, mais je ne peux pas prendre l'acte sexuel plus au sérieux que le reste. Un couple en pleine copulation a quelque chose de franchement grotesque. Si, comme pour la plupart de mes congénères, le fait de "le faire" entraine chez moi une grande exaltation, je n'y vois, hors contexte, en observateur - pas en voyeur puisque cela entrainerait déjà un intérêt - qu'une suite de postures souvent ridicules - mais agréables, ce serait quand même hypocrite de le nier - parfois acrobatiques et alors franchement risibles, renforcées par les visages grimaçants. Les bruits humides et les ahanements de toutes sortes ne faisant qu'ajouter au comique de la situation. C'est du cartoon pour adultes. Du cartoon en chair ou en os, selon les partenaires.
Lire en complément :
L'INFLUENCE DES CARTOONS ET DE LA BD
On croisera également dans DES LARMES COMME DES BANANES :
Un commandant de bord aux pratiques masochistes et un copilote prenant du bon temps avec une hôtesse dans un avion en perdition au-dessus de La Grande Cité ;
Un monstre au milieu de la foule : Double K, l'homme qui tient une gamine par la main ;
Edmond Zéphir, le directeur d'un hôtel de grand standing, en stimulation sexuelle constante...
Un vieux sénateur, proposant une politique rigoureuse de défense de la bonne morale en contradiction avec sa sexualité "non normative" aux exigences très précises.
Pendant des années, sergeDEFT a consommé (voire abusé parfois) de tout dans cette fameuse trilogie sexe, drogue et rock'n'roll, à laquelle on peut ajouter la boisson (de son propre aveu).
LES DROGUES : sergeDEFT évoque dans sa biographie cette époque de sa vie mais ne souhaite pas en dire plus, ne veut pas s'attarder sur ce passé. Trop de souffrance certainement, de gâchis, trop d'amis qui ne sont plus là.
Cliquez sur le lien pour lire l'intégralité de BIO.
Au regard de photos anciennes où il présente une silhouette efflanquée presque alarmante et en voyant aujourd'hui les kilos superflus qui lui dessinent un profil balzacien, il est évident que sergeDEFT s'est rabattu sur la nourriture, nouvelle forme d'addiction et palliatif, depuis qu'il a dû abandonner les produits moins naturels (si tant est que les aliments qui nous sont proposés soient naturels - note tout à fait personnelle de la rédactrice).
S'il ne veut pas revenir sur ses expériences d'autrefois, la drogue reste cependant très présente dans DES LARMES COMME DES BANANES. La plupart des personnages qu'il crée (principaux ou secondaires), sont sous l'effet de différentes substances et il en résulte des passages tout à fait étourdissants - pour ne pas utiliser stupéfiants.
Bien que sergeDEFT ne nous le "montre pas", il est évident, par la description qu'il fait de l'habitacle de la voiture de patrouille, que Max s'y fait des injections (les mots seringue, shoot ou fix n'apparaissent jamais dans le texte).
Juste devant lui, la tôle verdouillarde du tableau de bord est constellée de petites taches sombres très allongées qui indiquent qu'il s'agit de giclures.
La toile de la capote est mouchetée elle aussi et sur le plancher, entre les pieds du policier, au milieu des coques d'arachides, il y a des bouts de coton.
(Quand on retire l'aiguille de la veine, du sang remonte dans le tube et (si on n'utilise pas une seringue à usage unique) pour le "nettoyer", on presse le piston, ce qui occasionne des projections. Les cotons servent pour filtrer l'héroïne et, à la fin éventuellement, comme tampon pour faire un point de compression - Note de la rédactrice)
Max possède toutes les caractéristiques de la personne "accro à l'héro" - maigreur, teint pâle - et il "pique du nez", attitude spécifique du junkie. Avachi dans son siège, il "se laisse traîner", un bras pendouillant à la portière, tandis que son esprit génère un défilement d'images opiacées pygocoles. Lire SEXE.
Plus tard, consécutivement à un arrêt du véhicule de ronde dans une zone sombre le long du Maelström, les deux policiers repartent revigorés.
On ne "voit" rien, là non plus. sergeDEFT nous dépeint l'ambiance qui se dégage du quartier. La voiture est perdue dans le décor et il s'interdit de s'approcher. Il est évident qu'il s'arrange ainsi pour rester à distance, fuyant ses dépendances passées.
Si la drogue n'est pas nominativement indiquée dans ce passage, on sait qu'il ne peut être question que de la cocaïne (ou d'un dérivé) consommée en sniff.
Les deux policiers savent qu'ils vont retrouver dans quelques minutes l'énergie pour l'heure à venir.
Le gros Jo a les ailes du nez qui frissonnent.
Il tord sa bouche dans tous les sens et son bout de cigare fait des 8, puis ses lèvres se cintrent en S.
Le sergent ne s'est jamais habitué aux sensations de picotement et d'engourdissement des gencives et des fosses nasales remontant jusque dans les sinus.
Alors qu'il était dans un mutisme total depuis le début du récit, Jo rentre dans les chapitres suivants (après un temps qui peut correspondre à ce que l'on appelle la montée) dans une phase d'exaltation (l'un des effets de la cocaïne, psychotrope et stimulant puissant du système nerveux central).
Il a le sentiment d'avoir trouvé LA solution à l'un des problèmes majeurs de La Grande Cité (impression fréquente avec cette drogue de tout savoir) et se lance dans une soudaine logorrhée.
Outre cette envie de parler pour Jo, aussi subite qu'irrépressible, de développer sa théorie, on assiste chez Max à un "retour à la vie".
Dans la seconde partie du roman, avec Luis, l'usage de substances est par contre nettement désigné (LSD et cocaïne) :
L'acide lysergique se répand dans le cerveau de Luis. Il a avalé un peu plus tôt quelques jolies micropilules très colorées qui commencent à faire leurs effets. Et dans sa lancée, il s'est fait aussi deux rails de coke coup sur coup.
On notera, là encore, l'exagération (le TOUJOURS "TOUJOURS PLUS") de sergeDEFT ; l'aventurier ne se contente (évidemment) pas d'un seul comprimé de LSD comme "tout le monde" et double aussi sa prise de cocaïne.
Un peu plus tard, dans les étages d'un palace, Luis consommera du cannabis (le joint fumé avec Pam Pam dans la salle de bains).
On peut sans trop risquer de se tromper, affirmer que Sentenza, le chaman, a également "pris quelque chose". Des champignons hallucinogènes par exemple, ce qui expliquerait (si besoin est) les phénomènes surnaturels et les visions tout à fait démentielles qu'il a de BANANA KR-OUUPPS !!!
Plus généralement, sur le Maelström, alors que les riches qui ont quitté Les Collines viennent en limousine acheter leurs doses récréatives, des cigarettes coniques circulent entre les sans-abris ; les chauffeurs de taxi "marchent" aux amphètes, tandis que l'on croise des gamins inhalant de la colle ; Tape Dur, un portier de boîte de nuit se fait ouvertement une prise de cocaïne en pleine rue.
On imagine enfin, même si ce n'est pas dit, qu'avec l'énumération faite par sergeDEFT de toutes les souffrances supportées par les gens des Quartiers Nord, il y a un fort usage de "cachetons" ; antidépresseurs, anxiolytiques et neuroleptiques (c'est certain pour Georges et probable pour la femme à la fenêtre - les tablettes entamées de médicaments sur le réfrigérateur).
Dernière facette de la fameuse trilogie - et pas la moindre :
le ROCK'N'ROLL.
(Une partie du texte qui suit est la transcription de l'émission radiophonique NUIT NOIRE.)
N.N. : On retrouve toujours et un peu partout du rock'n'roll dans ce que vous écrivez. C'est un élément totalement indissociable de votre travail de romancier ?
sergeDEFT : Il y a une énergie très forte dans le rock - le vrai, sauvage et sans concessions, celui des Stooges ou du MC 5 - qui peut se décharger instantanément - des types se saisissent de leurs instruments et c'est parti [ ]. C'est valable pour toutes les musiques ; les tempos latinos, la flamboyance du jeu des gitans, mais c'est encore plus vrai avec le rock et l'apport de l'électricité, le larsen, les amplis qui ronflent. Ce n'est pas du tout aussi évident avec l'écriture.
sergeDEFT nous a confié son inquiétude taraudante de ne pas produire un rythme assez puissant lorsqu'il écrit. Pour se faire comprendre et préciser son idée, il cite la phrase d'un musicien (quoi d'étonnant à cela), Johnny Thunders* : "Chacun de mes solos sera comme la foudre et le tonnerre."
*D'abord guitariste soliste au début des années 70 des légendaires New York Dolls - connus pour leur musique (un rock basique mais très mordant) autant que pour leur look dérangeant (travestissement) et considéré comme l'un des groupes précurseurs de la vague punk qui émergera quelques années après -, Johnny Thunders deviendra ensuite le leader des Heartbreakers. C'est avec cette formation (à la réputation, loin d'être usurpée, de junkies notoires) qu'il sortira, en 1977, le mythique album L.A.M.F. (acrostiche de Like a Mother Fucker), référence absolue dans le genre, avant de se lancer dans une carrière solo chaotique (mais parfois très brillante - album So Alone). Son style de guitare très personnel ainsi que sa dépendance à l'héroïne ont fait de lui une figure emblématique de la scène rock jusqu'au-boutiste. Il disparait en 1991. L'enquête et l'autopsie concluront à une mort par overdose. Beaucoup pensent qu'il s'agissait d'un assassinat puisqu'on ne retrouva aucune trace de son argent dans sa chambre d'hôtel (il était en possession d'une forte somme provenant d'un contrat signé la veille), ni de sa méthadone (il avait commencé une cure de désintoxication).
sergeDEFT (extraits NUIT NOIRE) : C'est pour cela que je travaille très souvent avec un casque sur les oreilles - Lire sergeDEFT : DANS SON CASQUE. Je me sers de cette puissance lorsque je rédige, pour trouver la même rage. Il y a les riffs, le gros son de la basse, la batterie qui bastonne, le chant, essentiel aussi, les cris, les onomatopées. Il faut arriver à rendre tout cela. Toute la fameuse attitude aussi, les poses, la flambe. Je me nourris aussi en allant énormément dans les concerts, c'est vraiment là que la magie de cette musique opère.
[ ]
Quand je vais m'installer devant mon clavier en me disant qu'il faut quand même que j'écrive un peu, je fais partir un morceau et ça se déclenche d'un coup. La violence que tu libères peut être alors la même qu'avec une guitare, mais il faut jouer avec les mots pour monter le son.
Je fais en quelque sorte de la littérature amplifiée.
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What's up, doc !?
Bugs Bunny
sergeDEFT va souvent emprunter du côté des dessins animés et la narration effectue alors un dérapage, vire au délire sans limites.
Le style farfelu des cartoons et les gags toujours "énôôôrmes" correspondent parfaitement aux comportements paroxystiques des personnages et à leurs libidos exacerbées.
Les exemples les plus manifestes de ces débordements soudains sont d'ailleurs les passages où sergeDEFT narre l'émergence violente parce qu'instantanée de l'excitation des hommes à la vue des femmes (les yeux des deux policiers en patrouille qui sortent de leurs orbites pour aller se coller sur le corps de Pam Pam, le "dédoublement" de BANANA KR-OUUPPS !!!) et surtout la description des actes sexuels. Lors d'un cunnilingus, Max "dévore" sa partenaire comme un fauve sa proie.
On profitera de ce dernier exemple pour noter l'usage à plusieurs reprises de caractéristiques animalières dans la description des personnages (Max avec sa truffe et ses babines est un loup famélique, le directeur du palace avec ses jambes toutes fines a une démarche d'échassier), ce qui montre à l'évidence une empreinte de l'univers des films d'animation - et des bandes dessinées - sur l'écriture de sergeDEFT.
La mise en forme spécifique établie avec une volonté d'habiller la page par blocs séparés, comme s'il s'agissait de vignettes de bédé moderne ou de manga montre encore une fois l'influence très forte de cette forme d'expression dans le travail de sergeDEFT. A cela, il faut ajouter l'usage assez régulier d'onomatopées pour illustrer des bruits à la manière des comics. L'auteur poursuit ainsi son esthétique de l'excès en s'amusant à faire littéralement traverser ces "sons parasites" au beau milieu de la narration en cours - n'hésitant pas à agrandir la taille de police et à utiliser des caractères gras pour qu'ils se détachent du texte avec un impact maximum.
Lire en complément LE DECOUPAGE (Morcèlement de la linéarité fictionnelle et mise en page spécifique)
Signalons également une brève incursion dans l'univers de la comédie musicale qui, par la situation décrite, peut être rapproché de l'esprit des cartoons dans ce passage où est évoquée la présence d'un ecclésiastique "égaré" dans les quartiers chauds, qui danse en se déhanchant à la manière d'Elvis Presley sur Devil In Disguise, des travestis déchaînés assurant les chours derrière lui.
Un joli détournement de la chanson du King :
You look like an angel
Walk like an angel
Talk like an angel
But I got wise
You're the devil in disguise
Une sur-érotisation permanente de la femme dans les différents récits de sergeDEFT et dans celui qui nous intéresse ici, DES LARMES COMME DES BANANES, peut rapidement amener le lecteur à se tromper sur les intentions réelles de l'auteur.
Même si, pour l'avoir rencontré à plusieurs reprises, sergeDEFT a son bagage de misogynie, il ne faudrait surtout pas penser que son intention est de caricaturer la femme en la réduisant à des formes affriolantes et à une façon de se mouvoir. Il s'amuse en réalité de la facilité avec laquelle les hommes se laissent séduire et nous divertit en décrivant, avec son style bien personnel, l'excitation qui en découle. C'est absolument sous cet angle-là qu'il faut le lire, l'appréhender par un biais différent serait une erreur. C'est avant tout de la gent masculine qu'il se moque.
sergeDEFT ose d'ailleurs aller beaucoup plus loin. Il y a dans DES LARMES COMME DES BANANES, beaucoup de travestis dont les allures et le gestuel s'appuient sur les stéréotypes d'une certaine vision - vision fantasmée, dirons-nous - que l'homme peut avoir de LA femme. Le jeu de séduction qu'ils proposent en affichant une "féminité exagérée" (lire STEPHANI CHI CHI) et leurs attitudes parfois exhibitionnistes est rédigé avec une ferveur identique aux descriptions de "vraies femmes" (Pam Pam circulant sur le boulevard ou l'infirmière particulière d'un milliardaire dans le hall du palace). En favorisant ainsi "l'allure féminine" au "pouvoir féminin", sergeDEFT confirme bien qu'il s'attaque plus à la faiblesse des hommes en général qu'à une "domination" systématique des femmes. Même s'il n'exclut pas chez elles, et soupçonne même, selon ses termes, une préméditation ancienne à attirer les regards.
Autodérision réelle ou narcissisme déguisé ?
Mégalomanie biaisée, tendance pathologique au mensonge ou simple amusement ?
sergeDEFT s'est construit depuis longtemps un profil en jonglant régulièrement avec les faits, a modelé sa propre "légende", comme s'il avait décidé un jour de devenir lui aussi un personnage en entretenant inextricablement mêlées dans sa vie de tous les jours, autocélébration et autocritique au second degré.
C'est simplement créer son récit personnel, une belle histoire où l'on peut dériver lorsque la sienne, réelle et compliquée, ne nous intéresse plus et ennuierait les autres.